Paiement en CDDU : la riposte

Le CDD d’usage, particulièrement défavorable, n’est pas légal pour rémunérer un journaliste. Pourtant, il est très utilisé, notamment dans l’audiovisuel.
Voici des arguments de riposte.
 

Qu’est-ce qu’un CDDU ?

Ci-après, des extraits du site du Ministère du Travail :

Le CDD d’usage est un contrat de travail à durée déterminée susceptible d’être conclu :
- pour pourvoir des emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au CDI en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ;
- dans des secteurs d’activité définis soit par décret, soit par les conventions ou accords collectifs de trava

En principe, le CDD doit comporter un terme fixé avec précision dès sa conclusion. Par exception toutefois, le CDD d’usage peut être conclu sans terme précis, sous réserve de prévoir une durée minimale librement fixée entre l’employeur le salarié (quelques heures, quelques jours…). Il cesse au jour de la réalisation de l’objet pour lequel il a été conclu et au plus tôt à l’expiration de la durée minimale prévue.

Succession de CDD d’usage – Des CDD d’usage successifs peuvent être conclus avec le même salarié, sans interruption (sans délai de carence entre deux contrats). Toutefois, afin de prévenir les abus éventuels résultant de l’utilisation de CDD successifs sans limite, les juges, s’ils sont saisis d’un litige, devront vérifier que le recours à l’utilisation de contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi pourvu par le CDD d’usage. Si cette condition n’est pas remplie, le CDD d’usage sera requalifié en CDI (voir, par exemple, l’arrêt de la Cour de cassation du 4 décembre 2019).

Aménagement des règles d’établissement du bulletin de paie – Lorsque la durée du CDD d’usage est inférieure à un mois, un seul bulletin de paie est émis par l’employeur (ce qui est sans incidence sur la périodicité de la paie, qui doit rester mensuelle). Ainsi, au titre d’un même CDD d’usage d’une durée inférieure à un mois, mais s’étendant sur deux mois civils distincts, l’employeur peut n’établir qu’un seul bulletin de paie, qui sera remis au salarié au terme de son contrat.

Indemnité de fin de contrat – Le versement de l’indemnité de fin de contrat (en principe, 10 % du montant des rémunérations versées au salarié) n’est pas obligatoire à l’issue d’un CDD d’usage. La convention ou l’accord collectif applicable peut toutefois prévoir des dispositions plus favorables ; ainsi, à titre d’exemple, la Convention collective nationale des organismes de formation prévoit qu’à l’issue du CDD d’usage, « le salarié percevra une indemnité dite « d’usage » égale à 6 % de la rémunération brute versée au salarié au titre du contrat dès lors que le contrat n’est pas poursuivi par un contrat à durée indéterminée. »

 

Quels arguments donner à son employeur pour riposter ?

1. Déjà, bien-sûr, on a tendance à l’oublier, le CDI est la forme normale d’emploi.  le contrat de travail à durée indéterminée est, selon l’article L.1221-2 alinéa 1er du Code du travail, « la forme normale et générale de la relation de travail ».

Le recours au CDD ne doit pas avoir « pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise » (L.1242-1 Code du travail). Le CDD doit répondre à un des cas de recours autorisés : remplacement de salarié absent, surcroît temporaire d’activité. L ’article 17 de la Convention Collective des journalistes le rappelle : « le journaliste professionnel ne peut être embauché avec un contrat à durée déterminée que pour une mission temporaire dont la nature et la durée doivent être définies lors de l’embauche. »

Il n’y a donc que deux motifs de recours à un contrat à durée déterminée pour un journaliste : le remplacement d’un salarié momentanément absent (on ne parle pas là des week-ends et récups mais des arrêts de travail ou vacances) ou l’accroissement temporaire d’activité.
 
2. Selon l’article L. 1242-2 3° du Code du travail l’emploi occupé pour un CDD d’usage doit présenter un « caractère par nature temporaire ». Or, il y a de fortes chances que le métier de journaliste n’est pas lié à une activité temporaire par nature pour l’ entreprise en question. Elle a besoin des journalistes toute l’année. Il ne faut donc pas confondre emplois par nature temporaire et emplois non permanents. Par nature temporaire = dont on n’a pas besoin toute l’année. Non permanents = que la personne n’occupe pas tout le temps.

L’emploi de journaliste est au cœur de l’activité normale et permanente de l’entreprise et ne constitue donc a priori pas un emploi par nature temporaire.

 
En cas de besoins qui ne soient pas à temps complet, le CDI à temps partiel ou la pige sont bien davantage indiqués.
 
Cette règle vaut aussi bien en presse écrite que dans l’audiovisuel, quelles que soient les rumeurs selon lesquelles il est autorisé dans l’audiovisuel.
 

3. Certes, l’audiovisuel fait partie de la liste des secteurs d’activité autorisés au CDDU (D.1242-1,6°). MAIS  le seul fait que la liste mentionne tel secteur d’activité ne signifie pas que tous les emplois offerts par ce secteur peuvent donner lieu à la conclusion d’un CDD d’usage ; seuls les emplois de nature temporaire autorisent la conclusion de tels contrats. 

Le ministère du Travail précise bien que « Les conventions et accords collectifs étendus peuvent également, pour le secteur qu’ils couvrent, établir la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au CDDU ». https://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/les-contrats-de-travail/cddu

 Or l’accord professionnel national « Branche de la télédiffusion, salariés employés sous contrat à durée déterminée d’usage » (2006). Son article 1.1 dit d’ailleurs explicitement qu’en sont exclus les « salariés relevant de la convention collective nationale des journalistes ». Et son préambule dit aussi : « En application du présent accord, les employeurs s’engagent à un recours maîtrisé des CDDU dans le secteur de la télédiffusion » ; « les parties entendent, par le présent accord, réserver le recours au contrat à durée déterminée d’usage dans le secteur de la télédiffusion aux seuls cas où les particularités et les nécessités le justifient. Elles réaffirment, que conformément à l’art L. 121-5 du code du travail, le contrat à durée indéterminée est la règle. ». Enfin, son article 5.1 précise « Les fonctions pour lesquelles un salarié peut être engagé sous contrat à durée déterminée d’usage sont répertoriées dans l’annexe I du présent accord » or les journalistes ne le sont pas (listes 1 et 2 du titre IV de cet accord).
 
 
La convention collective de la télédiffusion (2021) à laquelle cet accord est annexé, précise d’ailleurs bien qu’elle ne s’applique pas aux journalistes car ils sont régis par des conventions collectives et/ou accords spécifiques.
 
 


 
 

Que risque l’employeur ?

 
En application de l’article L.1248-1 du Code du travail, le recours abusif au CDD (et donc y compris au CDDU) est pénalement sanctionné d’une amende de 3.750 € ou 7.500 € et six mois d’emprisonnement en cas de récidive.
En cas de requalification du CDD d’usage en CDI (L. 1245-1 du Code du travail), le salarié peut prétendre à une indemnité de requalification au moins égale à un mois de salaire, aux indemnités de rupture (préavis, congés payés, indemnité de licenciement), à un éventuel rappel de salaire si la requalification entraîne un nouveau calcul de l’ancienneté et à des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
 
 

Et si vous étiez en CDDU sans le savoir ? 

Un certain nombre de médias déclarent leurs « pigistes » en CDDU sans même leur dire et sans leur faire signer de contrat, ce qui est pourtant obligatoire pour les CDD. Ils le font via la DSN (déclaration sociale nominative) c’est -à-dire les données transmises à l’URSSAF, qui servent à verser les cotisations aux différentes caisses. Résultat : cela génère une attestation d’employeur (AED) transmise automatiquement à France Travail, car le CDDU ouvre des droits au chômage….. Bonjour les trop perçus potentiels ! 

Donc vigilance :  Si…..

  • vous recevez des AED après chaque pige 
  • vous voyez apparaitre sur chaque bulletin de paie la mention « fin de contrat » ou si votre ancienneté dans l’entreprise est remise à zéro à chaque mois
  • on vous fait signer un  « contrat de pige ». Normalement il n’y a pas besoin de contrat à chaque pige, un bon de commande ou mail suffit. Regardez aussi si ce contrat ne contient pas une phrase comme « Accord applicable : cet engagement à durée déterminée est fondé sur les dispositions conjointes du 3° de l’article L.1242-2 du Code du Travail, de celles des 6° et 8° de l’article D.1242-1 du même code, ainsi que celles de la convention collective nationale des journalistes. » Cette mention réfère justement au CDDU !

… le terme « pige » est alors galvaudé. Il ne s’agit pas d’une rémunération à la pige.

 

Qu’est-ce que ça change ? A la pige, pas de contrat à chaque collaboration, la collaboration se poursuit même durant les creux, le contrat n’est pas rompu. En CDD, le contrat est clos entre deux piges. Concrètement un journaliste en CDDU est sans recours quand ses CDD ne sont pas renouvelés (sauf à aller aux Prud’hommes pour faire reconnaître un CDI).

 

Attention aux délais ! Les journalistes reçoivent souvent leur contrat bien après le début de la mission, or l’article L1242-13 du Code du Travail dit « Le contrat de travail est transmis au salarié, au plus tard, dans les deux jours ouvrables suivant l’embauche ».

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