Faux-CLP, vrai journaliste ? Un abus qui peut coûter cher !

Quand un journal confie à quelqu’un un travail de journaliste sous le statut de correspondant local de presse (CLP), c’est illégal. Et quand la justice l’établit, ça vaut la peine de s’être battu… et coûte cher au journal !  Avec le soutien de la CFDT, Jason Herbert a remporté son bras de fer contre Charente Libre, un quotidien du groupe Sud Ouest. Le tribunal a reconnu qu’il n’aurait pas dû être employé comme CLP mais bien comme journaliste.

La dérégulation aidant, on a vu fleurir, depuis une quinzaine d’années, les faux CLP qui devraient en fait être pigistes ou mensualisés à temps complet ou partiel. Ces tâcherons de l’ombre, payés une misère, sans accès à la carte de presse, sans congés payés, sans cotiser pour la maladie ou la retraite, virables à tout moment, se font rarement entendre par voie de justice. L’action de Jason Herbert est à ce titre exemplaire.

D’octobre 2012 à novembre 2014, il a été employé comme CLP alors qu’il effectuait un travail de journaliste à temps complet pour le site web du journal (rubrique geek, rédaction le week-end, dépêches AFP, page Facebook du journal…)

En saisissant le conseil de prud’hommes d’Angoulême, Jason Herbert (appuyé par Dominique Briongos, délégué syndical CFDT à Charente Libre) a ouvert la voie à cinq ans de procédure. Première victoire en 2015, en première instance, avec la reconnaissance qu’il avait bien occupé un emploi de journaliste, qu’il aurait dû être salarié. La victoire définitive est intervenue fin 2020, Charente Libre ayant décidé de ne pas se pourvoir en cassation une seconde fois comme elle en avait la possibilité.

Le montant total des condamnations s’élève à 68 000€ (sans compter ce que le journal a dû payer à l’Urssaf et qui représente plusieurs dizaines de milliers d’euros supplémentaires).

Retour sur cinq ans de procédure 

12 janvier 2015 : saisine par Jason Herbert du conseil de prud’hommes d’Angoulême.

16 octobre 2015 : le jugement de départage du CPH d’Angoulême requalifie la relation de correspondant local de presse entre Jason Herbert et la Charente Libre en un CDI à mi-temps comme journaliste professionnel.

24 mai 2017 : la cour d’appel de Bordeaux confirme la qualité de journaliste et la requalification de la collaboration en un CDI à mi-temps. La Charente Libre est condamnée à payer un euro symbolique de dommages-intérêts à la CFDT-Journalistes et au Syndicat National des Journalistes en réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession. Lire l’arrêt.

9 janvier 2019 : la Cour de cassation casse et annule partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 mai 2017 et renvoie les parties devant la cour d’appel de Toulouse, notamment pour la durée du temps de travail et la possible présence de travail dissimulé. Lire l’arrêt.

29 mai 2020 : tenant compte de la décision de la Cour de cassation, la cour d’appel -de renvoi- de Toulouse rend son arrêt à l’issue duquel l’ancien correspondant local de presse voit sa relation être requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée à temps-plein en qualité de journaliste. Le journal du Groupe Sud Ouest, Charente Libre, est aussi condamné pour travail dissimulé. La juridiction toulousaine indique que l’organe de la presse quotidienne régionale “a, en connaissance de cause, soustrait aux organismes sociaux la déclaration d’une partie de la rémunération due à M. Herbert en vue de contourner les règles de cotisations sociales en violation de l’article L8221-3 alinéa 2 du code du travail, de sorte que tant l’élément matériel que l’élément intentionnel du travail dissimulé sont constitués.Lire l’arrêt.

Cinq conseils aux « faux-CLP » décidés à se défendre

De sa douloureuse expérience, Jason Herbert retient quelques enseignements, et préconisations pour ceux qui voudraient, comme lui, se défendre.

  1. Etre bien entouré syndicalement, surtout quand son avocat ne connait pas bien ce statut
  2. Conserver les preuves écrites du lien de subordination. « Dans mon cas ont été décisifs des mails avec mon supérieur et une feuille de pointage servant à la rédaction pour savoir combien ils devaient me payer« , indique Jason
  3. Se préparer à se retrouver seul du jour au lendemain : « La majeure partie des personnes avec qui vous travailliez depuis des années vous tournera le dos, même ceux en CDI. C’est terrible psychologiquement, une injustice supplémentaire« 
  4. Etre patient : une telle procédure dure forcément des années.
  5. Faire fi des culpabilisations : « C’est un peu le syndrome de Stockholm : ne pas vouloir faire de mal à son ravisseur, qui nous a tenu en captivité des années et avec qui un lien s’est créé. Quand je réclamais de changer de statut, mon chef m’invitait au restaurant pour en discuter et me demandait de la patience, que cela allait arriver… A mon procès mon employeur s’est fait passer pour un bon samaritain, ayant donné sa chance à un jeune, et se posant presque en victime. »

Quand un CLP peut-il envisager une requalification de son statut en journaliste salarié ?

  • Lorsqu’il travaille au sein d’une rédaction, avec par exemple son bureau, des horaires, une rémunération au forfait
  • Lorsqu’il y a lien de subordination, contraire au principe d’indépendance du CLP (horaires imposés, consignes…)
  • Lorsqu’il remplit les conditions prévues par la loi : le journaliste professionnel est celui qui « a pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ». Et qu’il peut donc en apporter la preuve via le niveau de ses revenus, leur régularité et des extraits de sa production.

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