Si vous pigez à l’étranger pour un média français, que se passe-t-il ? Malheureusement, vous arrivez dans une grande zone de flou juridique.
Salariés aussi à l’étranger ?
Le code du travail français dit simplement qu’un journaliste collaborant à un titre de presse basé en France travaille dans le cadre d’un contrat de travail, donc comme salarié. Mais cela s’applique-t-il aussi aux pigistes à l’étranger ? Quand on travaille physiquement toute l’année à l’étranger, la législation demande de s’inscrire auprès du système de sécurité sociale de son pays d’accueil. Mais ce serait alors à l’employeur de verser ces cotisations. Or les employeurs préfèrent cotiser en France (une majorité des pigistes à l’étranger sont payés en salaire. Tant mieux !)… ou ne pas cotiser du tout !
Les choses se compliquent encore quand on entre dans le détail.
- Certains pigistes à l’étranger travaillent au moins autant pour des publications non-françaises, qui considèrent leurs collabrateurs come des indépendants. Impossible de se faire payer par eux en salaire.
- Certains ont pris donc l’habitude de cotiser par eux-mêmes à la Caisse des français de l’étranger, et trouvent complexe de cumuler deux statuts, et, pensent-ils, payer double.
- Certains pigistes à l’étranger sont installés durablement à l’étranger, même s’ils sont français. Leur conjoint est parfois de ce pays, et être affilié au système de sécurité sociale français ne leur semble pas bien pratique
- Certains pigistes résidents fiscaux à l’étranger se voient refuser par l’employeur français d’être payés en salaire sous prétexte qu’ils payent leurs impôts à l’étranger.
- Certains pigistes à l’étranger pour des médias français ne sont pas français et ne comptent pas venir un jour vivre en France.
- Même quand ils sont payés en salaire, ils ne peuvent pas toujours bénéficier des prestations liées aux cotisations versées, celles-ci étant parfois soumises à un critère de résidence en France (CPAM, Pôle Emploi…). Les pigistes peuvent donc se retrouver à cotiser sans bénéficier en échange de droits effectifs.
Les conséquences, pour ceux qui ne sont pas payés en salaire, sont multiples
- pas de lien de subordination avec l’employeur, aucun filet de sécurité en cas de licenciement
- pas de cotisations maladie, vieillesse, etc.
- pas d’accès au CE
- ni électeurs ni éligibles aux élections de représentants du personnel (CE, DP, CHSCT)
- pas de prime d’ancienneté
- pas de carte de presse française
Quels enseignements en tirer ?
1. Il nous semble prioritaire qu’au moins tous les pigistes qui le souhaitent puissent être payés en salaire, comme n’importe quel salarié d’entreprise française
2. Il faut chercher des solutions permettant le salariat, pour les situations inconfortables
3. Si le salariat n’est pas assuré, l’employeur devrait compenser financièrement la moindre protections sociale de son salarié et l’absence de lien de subordination
Quelques arguments à faire valoir :
- la loi Cressard
- votre employeur n’a pas à vous demander où vous payez vos impôts (certains le font, et réservent le salariat à ceux qui les paient ej France). C’est à l’employeur de se mettre en règle avec le droit du travail, puis à vous de vous mettre en règle avec la fiscalité.
Sous quel contrat ?
La très grande majorité des pigistes à l’étranger font comme s’ils habitaient et travaillaient en France. Cela arrange les employeurs et les pigistes, mais ce n’est pas l’idéal. D’autres pistes sont à explorer. Au vu de la complexité des systèmes juridiques, il n’est pas évident d’être dans les clous. Nous, à la CFDT, ouvrons ce débat. Faites nous part de vos expériences et avis, et des revendications à porter !
Le salariat classique
Sans statut de détaché, un salarié qui ne vit pas en France peut-il bénéficier du régime français de sécurité sociale ? La réponse est d’ordinaire Non, même s’il cotise, car il faudrait habiter en France. La très grande majorité des pigistes à l’étranger font donc comme s’ils habitaient et travaillaient en France. Ils tentent de ne pas faire savoir aux diverses autorités qu’ils habitent et travaillent réellement à l’étranger, se font soigner quand ils rentrent en France, voire adhèrent volontairement, en doublon, à la Caisse des français de l’étranger. Leurs employeurs ne procèdent à aucune formalité particulière. La plupart s’en accommodent, et on peut le comprendre. D’autant qu’il n’est pas impossible, même dans ce cas, de se faire rembourser des soins effectués à l’étranger, et de se faire indemniser par Pôle emploi.
Une pigiste nous confie utiliser la carte européenne d’assurance maladie (CEAM) s’adressant normalement aux voyageurs (vacanciers) dans l’UE, mais valable 2 ans. Elle permet d’éviter d’avancer les frais en cas de souci de santé pendant son séjour.
Pourtant, l’article L111-1 du code de la sécurité sociale qui stipule « la sécurité sociale assure, pour toute personne travaillant ou résidant en France de façon stable et régulière, la couverture des charges de maladie, de maternité et de paternité ainsi que des charges de famille » n’est pas si clair : travailler pour un employeur en France, c’est travailler en France.
D’ailleurs, une autre pigiste nous confie se faire indemniser par Pôle emploi et la Caf : « Comme je bouge beaucoup d’un pays à l’autre, j’ai déclaré une adresse en France. Comme je me concentre surtout à de l’investigation, je gagne peu, au regard de la France, mais avec 400€/mois je peux vivre dans ces pays. Mais ces revenus me permettent de prétendre à des indemnisations Pôle emploi et à la Prime d’activité de la Caf ».
Le statut de détaché
Le statut de détaché permet à une personne de partir exercer son activité à l’étranger durant un temps déterminé pour le compte de son employeur, en restant affiliée au régime français de protection sociale. A notre connaissance, cela ne se pratique pas pour les pigistes, mais le détachement serait à notre avis une piste intéressante à explorer.
Pour cela, théoriquement, il suffirait que votre employeur vous remette le formulaire A1 ( ex-formulaire E 101). Et donc, soit que vous proposiez à un média de partir pour lui dans un pays, en amont de votre départ, soit que vous y soyez déjà, et qu’il accepte de vous fournir ce document. Vous devrez peut-être aussi remplir une déclaration préalable indiquant votre intention de travailler dans le pays d’accueil. En tant que salarié, c’est à votre employeur de s’en charger.
Cependant vous êtes mais soumis aux règles locales, donc vous devrez peut-être payer pour des services fournis gratuitement en France. En savoir plus sur les différents systèmes de sécurité sociale dans l’UE. Une fois à la retraite, vous ne devrez pas traiter avec les organismes de sécurité sociale des différents pays. Les organismes de votre pays d’accueil ne seront pas concernés.
Dans un pays d’Europe : vous êtes couverts comme si vous étiez en France mais vous devez vous inscrire au régime local de sécurité sociale avec le document portable S1 « Inscription en vue de bénéficier de la couverture d’assurance maladie »
Dans un Etat avec lequel la France a conclu un accord bilatéral de sécurité sociale ou sur un territoire d’Outre mer : vous devez envoyer à votre caisse d’affiliation les factures acquittées accompagnées de l’imprimé S 3124a « soins reçus à l’étranger par les travailleurs salariés détachés ».
Dans un pays qui n’est pas lié à la France par un accord de sécurité sociale : vous êtes maintenu au régime obligatoire de sécurité sociale et les cotisations et contributions sociales sont payées en France comme si vous y exerciez votre activité. Mais vous devez quand-même payer parallèlement les cotisations et contributions qui peuvent exister dans le pays d’accueil. Pour vous faire rembourser de vos frais de santé dans le pays d’accueil il faut envoyer en France vos factures acquittées accompagnées de l’imprimé S 3124a « soins reçus à l’étranger par les travailleurs salariés détachés ». MAis si vous avez des enfants vous ne pouvez pas toucher de prestations familiales. Par ailleurs, si le régime de sécurité sociale de ce pays est obligatoire (en partie ou totalement), votre employeur doit s’ acquitter des cotisations correspondantes. La durée de ce détachement est de 3 ans renouvelable une fois.
Au terme des deux ans, si vous ne voulez pas changer de système, vous devrez arrêter de travailler pendant au moins 2 mois. Si vous savez dès le départ que vous travaillerez à l’étranger pendant plus de 2 ans, vous pouvez demander une dérogation pour rester couvert par le système de sécurité sociale de votre pays d’origine pendant toute la durée de votre détachement. Ces dérogations, qui sont accordées au cas par cas, nécessitent l’accord des autorités compétentes dans chaque pays concerné et ne sont valables que pour une période déterminée.
Pour en savoir plus, contactez l’ autorité chargée des travailleurs détachés ou le guichet unique de votre pays d’accueil.
Lire aussi rester couvert par le système de sécurité sociale de votre pays d’origine pendant un détachement à l’étranger.
A noter – Article L761-1 du code de la sécurité sociale : « Les travailleurs détachés temporairement à l’étranger par leur employeur pour y exercer une activité salariée ou assimilée qui demeurent soumis à la législation française de sécurité sociale en vertu de conventions ou de règlements internationaux, sont réputés, pour l’application de cette législation, avoir leur résidence et leur lieu de travail en France. »
Le statut d’expatrié
D’après le code de la Sécurité sociale française, tout salarié envoyé à l’étranger sans être détaché possède le statut d’expatrié : il ne bénéficie plus du régime français de protection sociale (sauf en cas d’adhésion à la Caisse des Français de l’Étranger, qui est une branche de la sécurité sociale fançaise) mais relève alors obligatoirement du régime local de l’Etat de destination. C’est à l’employeur de verser les cotisations dans ce pays.
Attention, à la différence du détachement, et même dans les pays ayant signé une convention de Sécurité sociale avec la France, l’expatriationne dispense jamais de l’assujettissement au régime social obligatoire du pays d’accueil s’il existe.
Les ressortissants français ou sous certaines conditions, ressortisssant de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou de la SuisseIl peuvent cotiser à la Caisse des français de l’étranger, qui couvre trois risques : maladie et maternité, invalidité, accident du travail, maladie professionnelle, et vieillesse. Elle est cependant assez chère. Pourquoi ne pas tenter de négocier avec votre employeur / vos employeurs principaux qu’il participe à cette cotisation ?
Une pigiste l’a obtenu d’un employeur : celui-ci participe pour moitié à sa prise en charge, et le reste est déduit de ses salaires, soit près de 200 euros par mois.
Vous pouvez faire une simulation de ce que vous coûterait la CFE.
Le portage salarial
Pour rester attaché à la protection sociale française, si votre employeur est de mauvaise volonté, ou n’est pas français, et qu’il vous considère comme un indépendant : vous pouvez faire facturer vos piges par une société de portage salarial, ou mieux, par une agence de presse, qui vous salariera en retour, avec la possibilité de faire figurer ces revenus dans votre calcul carte de presse. Ce n’est pas l’idéal, mais au royaume du bricolage, mais c’est une piste ! Dans le cas du portage salarial, veillez à ce que la société s’acquitte bien de ses obligations.
A noter – dans le cas où l’on n’est ni détaché ni frontalier, on ne relève normalement que d’un seul système social… L’Europe explique, dans ce cas, où il faut être couvert.
Pour tout savoir sur
- les conventions bilaterales de sécurité sociales, les interlocuteurs dans votre pays d’accueil, consultez le très riche site du Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale : http://www.cleiss.fr (Attention, sélectionnez bien « vous êtes particulier » et non « vous êtes travailleur indépendant »)
- votre future retraite : le site de la Cnav
- l’indemnisation du chômage en Europe : le site de Pole emploi international