Des pratiques illégales de plus en plus fréquentes

De plus en plus d’employeurs de presse ne payent pas en salaire. Tenir à ce principe ferme des portes. Pourquoi la CFDT s’y accroche-t-elle ?

Il est vrai qu’il est difficile de résister à cette pression croissante des employeurs pour déréguler le secteur. Mais si nous tenons, ce n’est pas contre les précaires, mais pour ne pas entériner une situation qui vous est défavorable. Sans salaire, pas de chômage, pas de droits à l’ancienneté due au pigiste, pas de retraite ni de couverture maladie digne de ce nom, ni de congé maternité, pas de cotisation retraite, pas d’accès au comité d’entreprise… et surtout, pas de «contrat» avec l’employeur. Celui-ci peut faire cesser la collaboration du jour au lendemain, rendant le recours devant l’inspection du travail ou les prud’hommes quasiment impossible.

Un journaliste salarié n’a pas de difficulté à obtenir sa carte de presse (pour autant que son revenu lié à son activité journalistique est suffisant, régulier et majoritaire). A la différence d’un journaliste rémunéré en droits d’auteur, en honoraires, ou comme autoentrepreneur ou intermittent du spectacles

Sous le statut auto-entrepreneur, les indemnités maladie sont au seuil minimum sécu (19 € jour, moins la CSG), les droits à la retraite sont quasi inexistants… A 25 ans, cela semble loin, mais à 45, un peu moins. Les droits d’auteur sont aussi très défavorables et surtout, un journaliste n’est pas un auteur. Un auteur doit être libre de sa plume. Tout intellectuel que soit le journaliste, il ne décide pas de la ligne éditoriale et doit s’y contraindre. Cela le protège d’ailleurs, en cas de procès en diffamation par exemple. En cas d’entreprise ayant un n° de CPPAP, ne pas payer en salaire est même doublement immoral, car elle bénéficie d’aides à la presse. Le beurre et l’argent du beurre !

On me propose de devenir pigiste permanent.

Philologiquement parlant, c’est une absurdité. Humainement parlant, c’est une drôle de sucette qu’on vous fait miroiter. Il y a en effet contradiction dans les termes.

Par définition, le pigiste est un journaliste professionnel, donc un salarié ordinaire, mais rétribué en fonction du travail effectué.

Dès le moment où vous êtes tenu, par contrat, à travailler dans un organe de presse, à temps complet ou partiel mais avec une obligation de présence régulière ou un nombre d’heures de travail à fournir, rien ne justifie plus votre dénomination de « pigiste ». Vous devez exiger d’être considéré comme journaliste à temps plein ou à temps partiel. Le délégué du personnel ou le délégué syndical vous y aidera.

L’entreprise en question me dit ne pas être une entreprise de presse.

On vous dira parfois : « ici, nous ne sommes pas un journal, un site d’info, nous sommes une revue relevant de l’édition, ou une publication administrative, ou un bulletin interne d’association, ou un « houseorgan » d’entreprise, ou un blog citoyen. Nous préférons vous rétribuer en droits d’auteur ».

Allons ! Toute publication périodique ayant un numéro de commission paritaire des publications est tenue de respecter les droits des journalistes tels qu’ils figurent dans la loi et la convention collective. C’est là, légalement, le critère indiscutable.

En revanche, oui, sans cela, rien n’oblige l’éditeur d’une publicatiin de vous payer en salaire, et même si c’était le cas, ces revenus ne pourront être pris en compte dns le calcul carte de presse.

Le portage salarial est-il une solution ?

C’est un moindre mal, car vous serez couverts. Mais la société de portage n’est pas une entreprise de presse et ces revenus ne pourront être pris en compte pour l’attribution de votre carte de presse. Ce n’est pas l’idéal, mais, si le travail est effectivement journalistique, il existe une alternative :  travailler pour une agence de presse qui facture à cet employeur et vous salarie, vous faisant bénéficier, comme elle est entreprise de presse, de la convention collective des journalistes et de l’accès à la carte de presse. Mais cela ne vous octroie toujours pas un engagement direct de la part de cette publication, il n’y aura pas lien de subordination.

L’entreprise me paye en salaire depuis des années mais dit ne pas être liée à moi comme salarié.

On aura tout vu ! Mais oui, ce type de discours très décomplexé commence à arriver. Le pire, c’est que vous serez obligé d’argumenter sur une évidence. C’est un argument  souvent avancé quand les employeurs veulent mettre fin à une collaboration sans avoir à régler le préavis, les indemnités de licenciements. Cela a des conséquences sur les indemnisations de chômage, surtout si la notification pour motif économique n’est pas établie ainsi que ‘attestation pole emploi non fournie.

Ils prétendent que oui, ils vous payaient en salaire car la loi les y obligeait, mais c’était juste une formalité administrative, et que vous n’étiez pas un salarié dans tous les sens du terme. Ben voyons ! Leurs arguments ? L’absence de contrat de travail écrit, l’absence supposée de lien de subordination, le fait que le journaliste pigiste ne soit soumis à aucun horaire régulier, que vous n’utilisez pas le matériel de l’entreprise, que vous ne participez pas aux conférences de rédaction.

Répétons-le : le salaire est le seul mode légal de rémunération du journaliste, qu’il soit pigiste ou non.

Pour préparer votre défense (et sans tomber dans la paranoia) on peut conseiller que soit établi au préalable un bon de commande, précisant le travail à faire. Un second conseil, il peut être utile de conserver tous les échanges de mails.

En cas de litige, les tribunaux font de plus en plus la distinction entre une collaboration occasionnelle ou régulière. Si le pigiste est jugé « régulier », les tribunaux seront donc amenés à appliquer non seulement la Convention collective des journalistes mais également les règles du Code du travail (celles du droit commun, conformément aux dispositions de l’article L7111-1 du Code du travail, et celles spécifiques aux journalistes). En mars 2016, deux pigistes de la Tribune ont gagné en appel.