Témoignage : à l’étranger, une pigiste en quête de sécurisation

Elle n’a pas 30 ans, pige depuis une zone plutôt tendue. Un métier qu’elle adore, mais dans des conditions vraiment très précaires.

«J’ai commencé à piger pendant mes études, à l’étranger. Mon projet a toujours été d’être journaliste. Depuis un an, c’est mon métier, et je l’aime, si bien que je ne me vois pas quitter ce pays, dont j’apprends la langue. Ce n’est pas une zone où se bousculent les pigistes, alors j’ai pu commencer à piger pour un grand quotidien français. 

Mais le quotidien est dur. La plupart du temps, ils ne répondaient pas à mes propositions ou envoyaient quelqu’un de Paris. J’ai proposé en parallèle des sujets à un autre grand quotidien français. Là, c’est vraiment plus fluide. L’autre titre a commencé à mal le prendre, à me dire que je travaillais trop pour son concurrent et ils ne font plus appel à moi dans ces conditions. Pourtant, c’est eux qui refusaient mes propositions, et c’est à eux que je les envoyais prioritairement. Ce n’est vraiment pas confortable comme situation. Il faudrait que je ne travaille que pour eux, mais économiquement, ce n’est pas viable. Pour compléter, je travaille un peu pour de la presse francophone d’autres pays, mais ils me payent sans aucun justificatif, juste un virement.

Le pays où je vis me considère comme une indépendante, et ne me permet pas de bénéficier de la convention de sécurité sociale avec la France. Alors je ne suis pas remboursée.

Etre correspondant à l’étranger n’est vraiment pas sécurisant. Ce qui me cause beaucoup de stress est ma protection sociale. Je suis salariée par mes employeurs français, donc je cotise, et le pays où je vis a une convention de sécurité sociale avec la France, mais comme je n’ai pas une régularité de fiches de payes mensuelles, il ne me considère pas comme salariée, et me refuse les remboursements qui sont normalement dus aux ressortissants français salariés. J’ai donc souscrit une assurance à la Caisse des français de l’étranger, qui me coûte, grâce à un tarif encore étudiant, seulement 170€/trimestre, ce qui est déjà très cher. Mais c’est une véritable galère, car pour me faire rembourser a posteriori la procédure est d’imprimer avant la consultation chez le médecin un formulaire à faire signer par le médecin. Or il est en français et en anglais, mais pas dans la langue du pays. La plupart du temps, le médecin ne comprend pas ce qu’il lit et refuse de signer. Je passe un temps fou à expliquer, et la plupart du temps je laisse tomber, et je n’obtiens jamais de remboursement. Je paye donc trois fois : par mes cotisations prélevées sur mon salaire, à la CFE, et de ma poche, pour les consultations. Je ne peux même pas abandonner la CFE car pour mon autorisation de résidence, les autorités du pays me demandent une preuve que je suis couverte. J’en viens à ne pas me soigner. La seule fois que j’ai pu obtenir un remboursement était lors d’un séjour en France : j’ai fait refaire mes lunettes. 

Une amie pigiste dans un autre pays m’a dit qu’elle avait donné une adresse en France, et prétendait habiter en France, ce qui lui simplifie tout. Je vais faire pareil. C’est incroyable d’en arriver à faire quelque chose d’illégal contre son gré. Je n’ai vraiment pas envie de bidouiller, de tricher, mais ai-je le choix ? Et encore, même en France ce n’est pas facile de faire comprendre sa situation de pigiste. Heureusement je viens d’avoir ma carte de presse, elle va m’aider à prouver mon statut à la CPAM.

Ca me ferait du bien des entir que je compte un peu pour mes employeurs.

L’autre jour, j’ai pris des gaz lacrymogènes. Je suis presque tombée dans les pommes. Je me suis demandée : mais s’il m’arrive vraiment quelque chose, pourrai-je être soignée ? La zone où je suis m’amène à voir des situations vraiment pas faciles. A force ça s’accumule. J’aurais besoin d’en parler, mais comment payer un psy ? Je gagne au mieux dans les 800€/mois. Certes, c’est confortable où je vis, mais j’ai beaucoup de frais. Avec mes employeurs, je ne discute jamais vraiment. Cela se résume à un pitch, une commande. J’ai conscience qu’ils n’ont pas beaucoup de temps à me consacrer. Certes, je suis salariée, mais je n’ai pas l’impression d’être soutenue par mes employeurs. Ni par la France, qui me refuse une protection sociale. Je ne reçois rien qui me dise que c’est magnifique d’être français. Avec mes revenus j’aurais droit à la prime d’activité, mais elle n’est pas accordée aux résidents à l’étranger. Parfois je me dis «dans quelle galère je me suis mise ?». J’ai l’impression d’être punie d’être à l’étranger, alors que c’est mon métier qui le veut, et que mes employeurs sont contents d’avoir des correspondants à l’étranger. 

J’ai un ami qui pige dans la même zone que moi pour une télévision d’un autre pays européen. La différence de traitement est incroyable. Quand il va chez son employeur il peut rencontrer un psychologue pris en charge par la société. La rédaction réunit tous les ans ses correspondants à l’étranger pour une semaine de formation, allant des techniques de reportage à comment se protéger en zone de conflit. Ils investissent vraiment dans leurs correspondants. Ca me ferait du bien de sentir que je compte un peu pour mes employeurs.»