Baisses et ruptures de piges

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Mes piges ont considérablement diminué…

Une chose est sûre : un employé à salaire fixe, dont l’employeur diminue le salaire sans son accord, peut se considérer comme licencié : c’est une rupture du contrat de travail par l’employeur. Mais qu’en est-il pour un pigiste dont, par définition, le revenu est variable ?

On doit tenir le même raisonnement, non seulement pour le pigiste qui a une pige fixe, « forfaitaire », tous les mois du même montant, mais aussi pour ceux qui peuvent justifier que leur pige, malgré quelques variations minimes, se situe toujours dans la même fourchette.

Par exemple, voici un pigiste qui gagne tous les mois, depuis plusieurs années, entre 1200 et 1500 euros. Cette collaboration, bien que rémunérée à la pige, l’occupe quasiment à plein temps. Et puis un jour, il ne gagne plus que 700 à 900 € par mois, et cela de façon durable. Il est fondé à soutenir qu’il y a rupture du fait de l’employeur.

La Cour d’Appel de Paris (21e Chambre B, 10.01.1986 – 18ème Chambre E, 10/04/1987) et la Cour de Cassation (Soc. 18/03/1986) ont suivi le même raisonnement que nous en condamnant l’employeur qui avait diminué le montant des piges à verser au pigiste les indemnités de rupture.

En 2004 la Cour de cassation a établi : « Si en principe une entreprise de presse n’a pas l’obligation de procurer du travail au journaliste pigiste occasionnel, il n’en est pas de même si, en fournissant régulièrement du travail à ce journaliste pendant une longue période, elle a fait de ce dernier même rémunéré à la pige, un collaborateur régulier auquel l’entreprise est tenue de fournir du travail » (Ch. Soc. 24 mars 2004, pourvoi n°02-40181)

Alors, si vous êtes dans ce cas, si votre volume de piges a chuté de façon très nette, à vous de voir si vous préférez garder quand même cette collaboration, ou bien si vous préférez tenter de faire valoir votre droit au licenciement. Nous vous aiderons.

On ne me donne plus de travail

Un employeur qui ne donne plus de travail (et qui donc ne paye plus de salaire) à un de ses salariés, cela se nomme en termes juridiques « rupture du contrat de travail du fait de l’employeur ». Autrement dit, un licenciement. Les licenciements sont encadrés par la loi et la convention collective. On ne peut pas toujours les éviter, mais on peut être indemnisé.

Cela, c’est vrai pour un pigiste comme pour n’importe quel autre salarié. Même si beaucoup de patrons de presse persistent à ne pas vouloir l’admettre, la jurisprudence des tribunaux à ce sujet commence à être abondante. Mais il reste encore plusieurs questions controversées.

Pour faire valoir vos droits sans contestation possible, il y a des précautions à prendre que vous devez connaître. Car une fois sur deux les litiges se régleront devant la justice, et les avocats patronaux peuvent être retors.

Je n’ai pas de contrat. Comment prétendre au licenciement ?

Dès lors que vous avez collaboré, moyennant rémunération, à une publication ou une agence de presse, il existe un contrat de travail, même si rien n’a été conclu par écrit, et même si l’employeur appelle cela autrement. (Voir « un seul statut, salarié »). Il s’agit d’un contrat à durée indéterminée.

L’employeur va peut-être essayer de prétendre qu’il s’agissait de contrats « à durée déterminée », c’est-à-dire d’un contrat différent à chaque collaboration, et que cela n’entraînait pour lui aucune obligation.

Sachez que, selon la loi, un contrat « à durée déterminée » ne peut exister que dans certains cas très précis. Il ne peut être renouvelé qu’une seule fois sur le même poste. Il ne peut pas, non plus, « pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise » (article 1242-1). Et, surtout, il doit obligatoirement être conclu par écrit ; la loi précise qu’à défaut d’écrit, le contrat est toujours présumé « à durée indéterminée ».

Une jurisprudence très claire, même sans lettre de licenciement

La jurisprudence a établi depuis longtemps qu’il y a un licenciement dés lors qu’un employeur ne donne plus de travail ou ne paye plus de salaire à un de ses salariés, et même si le licenciement n’a pas été notifié par écrit.

Il existe maintenant un grand nombre d’arrêts de tribunaux (prud’hommes, appels, cassations) qui reconnaissent que ce principe s’applique au pigiste régulier à qui un employeur cesse de donner du travail.

  • Cour d’appel de Paris (1er février 1985, SA Vaillant c/Karali ; 10 avril 1987, Roche c/Info Productions ; 25 novembre 1992, Prisma Presse c/ Gilbert Nencioli)
  • Cour d’appel de Versailles (28 juillet 2010, S.Foy c/Éditions Larivière ; 14 mars 2012, CL.Thibaut c/Éd Larivière)
  • Cour de Cassation (10 juin 1998, Sté Excelsior c/Lafosse ; 23 février 2000, Bigot-Revol c/Sté Influences ; 18 juillet 2001 Ed Charles Masson c/ Baron ; 24 mars 2004, Sélection du Reader’s Digest).
  • La Cour de Cassation, dans un arrêt du 31 octobre 2006, est allée plus loin : elle a décidé que la cour d’appel de Paris avait eu raison de condamner une entreprise de presse à verser à un pigiste, en plus des indemnités de rupture, un rappel de salaire de plusieurs mois correspondant au manque à gagner entre la dernière commande et la rupture, fixée par la cour à la date de la saisine du Conseil de prud’hommes.

Dans quel cas mon employeur a-t-il le droit de me licencier ?

Il existe deux types de licenciement : pour motif personnel (lié à la personne du salarié) ou pour motif économique (lié à situation de l’entreprise). Dans les deux cas le licenciement doit être motivé par une cause réelle (les faits doivent être exacts, précis et objectifs) et sérieuse (revêtir une certaine gravité).

Le licenciement pour motif personnel est relatif notamment à un comportement fautif ou à une insuffisance professionnelle, qui entraîne un trouble ou un préjudice objectif au sein de l’entreprise.

En matière de faute professionnelle, on distingue :

  • la faute sérieuse : invoquée pour certaines fautes professionnelles ou absences répétées. Le préavis et l’indemnité de licenciement sont dus.
  • la faute grave : c’est une faute d’une particulière gravité qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Le licenciement intervient sans préavis ni indemnité de licenciement.
  • la faute lourde : c’est une faute grave avec intention de nuire à l’employeur. Le licenciement intervient sans préavis ni indemnités de licenciement. En outre, le salarié perd les congés payés acquis pendant la période de référence en cours lors du licenciement.

Attention : il ne suffit pas que l’employeur décrète qu’une faute est sérieuse, grave ou lourde pour qu’elle le soit ! Défendez-vous !

Exemple rappelé par la convention collective, «Un employeur ne peut exiger d’un journaliste professionnel un travail de publicité rédactionnelle telle qu’elle résulte de l’article 10 de la loi du 1er août 1986 (portant réforme du régime juridique de la presse). Le refus par un journaliste d’exécuter un travail de publicité ne peut être en aucun cas retenu comme faute professionnelle, un tel travail doit faire l’objet d’un accord particulier».

La convention collective ajoute, à son article 44, un cas de figure : « Faute grave ou fautes répétées dans le service et notamment : voies de fait, indélicatesse, violation des règles d’honneur professionnel ». Mais même dans ce cas l’intéressé prévoit que si le salarié a été congédié sans préavis ni indemnités, « il pourra se pourvoir devant la commission arbitrale prévue par l’article L. 761-5 du code du travail ou toute autre juridiction compétente ».

En matière d’insuffisance professionnelle, l’employeur peut estimer que, pour une raison quelconque, vous ne correspondez plus aux exigences du poste de travail que vous occupez, même sans qu’il y ait faute de votre part. Ce motif peut être jugé légitime, pourvu qu’il soit bien le vrai motif (« réel ») et que l’employeur puisse justifier, par des arguments, qu’il est suffisamment sérieux pour mettre fin à la relation de travail.

Le licenciement pour motif économique résulte d’une suppression, d’une transformation d’emploi, ou encore du refus du salarié d’accepter la modification d’un élément essentiel du contrat de travail motivée par des raisons économiques.
 Ces raisons économiques doivent être dues notamment à des difficultés économiques, des mutations technologiques ou à une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, voire à une cessation d’activité. Attention : la refus de modification de contrat n’est pas une démission. Vous n’êtes pas en tort de refuser que votre contrat soit modifié unilatéralement. En revanche, dans certains cas, votre employeur peut l’exiger, mais il vous doit dans ce cas un « vrai » licenciement, avec des indemnités.

Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir qu’après application des critères d’ordre des licenciements et uniquement lorsque toutes les actions de formation et d’adaptation ont été mises en œuvre et que le reclassement du salarié ne peut être effectué.

L’article 44 de la convention collective dit « le journaliste professionnel congédié et sans emploi sera réengagé en priorité dans le premier poste vacant de sa compétence ».

Dans les entreprises d’au moins 11 salariés, l’employeur doit, en cas de licenciements collectifs, informer les représentants du personnel ainsi que l’administration.

La marche à suivre

1. Tentez par tous les moyens de garder votre collaboration

La jurisprudence demande que vous ayez bien vérifié les intentions de l’employeur. Donc, D’abord, discutez avec l’employeur ou écrivez lui pour réclamer du travail. Ne vous mettez pas en position de démissionnaire : continuez à faire des propositions. S’il y a d’autres publications dans le même groupe de presse, ou d’autres rubriques dans le même journal, auxquelles vous ne collaboriez pas, vous pouvez demander à ce que soit étuidée la possibilité de vous « recaser » sur celles-ci. Attention, cependant : ce n’est pas la solution miracle : beaucoup d’employeurs vont jouer la montre, dire oui et ne pas l’appliquer, rester évasifs, voire se braquer. Il faut donc que vous soyiez au clair : êtes-vous prêts à tenir bon, au risque de perdre totallement cet employeur ? Pour certaines collaborations, cela ne vaudra peut-être pas le coup. Mais dans d’autres cas, oui, car les Prudhommes nous donnent souvent raison.

2. Actez la baisse ou fin des piges

S’il répond négativement, ou évasivement, ou s’il ne répond pas, alors envoyez une lettre re­commandée avec accusé de réception. Il vous appartient de faire savoir à l’employeur que vous considérez cela comme un licenciement et que vous exigez le préavis et l’indemnité.

Mieux encore : prenez contact, avant toute démarche, avec le délégué du personnel CFDT de votre entreprise ou la CFDT-journalistes, ou le SNME-CFDT ou le S3C-CFDT de votre région.

3. Demandez une compensation

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4. Obtenez un licenciement en bonne et due forme

Même s’il est justifié, on ne peut pas vous signifier votre licenciement par un simple coup de fil. Quels que soient votre ancienneté et la taille de l’entreprise, votre licenciement doit passer par 3 étapes :

  • convocation à un entretien préalable qui ne peut avoir lieu moins de 5 jours ouvrables après la première présentation de la lettre RAR ou la remise en mains propres de ladite convocation. Ce délai doit vous permettre de préparer votre défense. En revanche, il n’y a pas d’entretien préalable pour les licenciements économiques de 10 salariés et plus dans une période de 30 jours, dans une entreprise ayant des représentants du personnel.
  • entretien préalable entre l’employeur et le salarié, assisté ou non d’un représentant du personnel ou de la personne de son choix. Au cours de l’entretien, l’employeur vous explique pourquoi il envisage de vous licencier, et recueille vos remarques et observations. C’est aussi à ce moment que l’employeur doit, le cas échéant, vous informer sur les mesures de reclassement mises en œuvre et proposer un contrat de sécurisation professionnelle (CSP).
  • lettre de licenciement précisant les motifs du licenciement, la durée du préavis à effectuer et les droits acquis au titre du droit individuel à la formation (DIF). Tout licenciement doit être notifié par lettre recommandée avec accusé de réception. Un délai doit être respecté entre l’entretien et l’envoi de cette lettre. Attention : En cas de litige, seuls les motifs figurant dans la lettre de notification du licenciement par l’employeur seront examinés par le Conseil de prud’hommes.

5. Obtenez votre dû financier

Sauf en cas de faute grave, vous devez toucher au moment de votre licenciement :

  • le préavis,
  • l’indemnité de licenciement,
  • l’indemnité de congés payés
  • le prorata du 13e mois

Ensuite, vous pouvez vous présenter à Pôle emploi pour obtenir, dans certains cas, une allocation chômage. Voir « Allocation chômage »

L’indemnité de licenciement

Comment calculer l’indemnité de licenciement

Selon l’article L7112-3 du code du travail, « Si l’employeur est à l’initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité de licenciement qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze ».

L’article suivant prévoyant une Commission arbitrale. pour fixer les indemnités au delà de la 15e année d’ancienneté, et l’article L7112-5 garantissant ces conditions si le journaliste a quitté volontairement son emploi dans le cadre d’une clause de cession ou de conscience.

Une précision : selon l’article 44 de notre convention collective,  le salaire de base sur lequel seront calculées les sommes dues peut être :

  • soit la moyenne des douze mois précédant le licenciement,
  • soit la moyenne des vingt-quatre derniers mois. Cela afin de tenir compte de ceux pour qui le licenciement a été précédé d’une diminution progressive de leurs piges. 

Cette somme sera augmentée de 1/12 pour tenir compte du treizième mois conventionnel défini à l’article 25. Lorsque l’ancienneté du journaliste professionnel dans l’entreprise sera inférieure à 1 an, l’indemnité de licenciement sera calculée sur la moyenne des salaires perçus pendant cette période.

Attention, rien ne vous empêche de négocier davantage ! Par exemple si votre baisse de pige a été lente, essayez d’obtenir un calcul sur les trois dernières années ou d’obtenir que l’année de référence soit l’année moyenne du « pallier » de votre collaboration quand vous étiez à un rythme relativement constant. 

 

Comment établir la régularité de mon travail ?

Il vous sera plus facile de prétendre à préavis et à indemnité de licenciement si votre collaboration est très régulière.

Il n’y a aucun critère applicable mécaniquement à toutes les situations. On peut cependant dire avec une quasi-certitude que la régularité est indiscutable dès lors que le pigiste a touché des piges tous les mois pendant plus de trois mois, même si leur montant est peu élevé.

La Cour d’Appel a, par ailleurs à plusieurs reprises, condamné des entreprises de presse à verser des indemnités de rupture, même lorsque la collaboration n’était pas régulière (Paris, 21 ème Chambre A, 21/02/1983 – Paris, 18 ème Chambre D, 23/09/1986).

La question de l’ancienneté – C’est l’ancienneté dans l’entreprise qui compte, quels que soient les types de contrats qui s’y soient succédés. Si un journaliste entré dans une entreprise par un CDD, ayant enchaîné par des piges, entrecoupées par des CDD,

C’est sur ce sujet que s’est penchée la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 12 juin 2014.

 

Mon employeur refuse de reconnaître qu’il m’a licencié.

Evidemment, puisqu’il déclare qu’il n’y a pas eu licenciement, il ne veut pas remplir le formulaire pour l’Assedic. Vous ne pourrez donc pas obtenir automatiquement les allocations de chômage. Il vous faudra établir un dossier expliquant votre cas.

Ce dossier devra être adressé à la Commission paritaire de l’Assedic qui, dans chaque département, statue sur les cas litigieux. Elle est composée de cinq représentants des confédérations syndicales (CGT, CFDT, F0, CFTC, CGC, un pour chacune) et cinq représentants du patronat. Elle ne peut prendre de décisions qu’à la majorité : cela signifie qu’il faut qu’au moins un patron vote en votre faveur. Conclusion : votre dossier doit être rédigé avec attention.

Donc, avant tout, consultez les responsables des unions départementales CFDT spécialisés dans ces questions, ou bien les référents pigistes de la CFDT-Journalistes.

Généralement, la Commission paritaire de l’Assedic exigera que vous ayez engagé une action devant les prud’hommes pour faire reconnaître le licenciement.

A savoir Si les formalités légales de licenciement n’ont pas été respectées, vous pouvez demander des dommages-intérêts pour non respect de la procédure (un mois de salaire) devant les prud’hommes. Vous pouvez également obtenir des dommages-intérêts si le motif est jugé non valable.

1- Je n’étais pas déclaré comme salarié.

La situation est encore plus difficile dans ce cas, car il n’y a pas eu de cotisations versées pour vous à l’Assedic, celle-ci ne vous connaît donc pas.

Là aussi, c’est la Commission paritaire de l’Assedic qui examinera votre demande. Et là aussi, elle exigera vraisemblablement que vous ayez engagé une action prud’homale.

Un bon conseil : essayez d’obtenir devant les prud’hommes un jugement « en référé », c’est-à-dire en procédure d’urgence, en vous appuyant sur la « loi Cressard » qui dit que votre collaboration est présumée être un contrat de travail et sur les nombreux jugements cités plus haut.

2- Mon employeur reconnaît qu’il m’a licencié, mais refuse de suivre les formalités légales

Il dit que je suis en tort et n’ai droit à rien, qu’il est en difficultés financières et que les relations s’arrêtent là, ne répond plus au téléphone, rechigne à me fournir l’attestation d’employeur, estime que certes, j’étais salarié mais que comme pigiste cela ne m’ouvre pas de droits au licenicement, ou bien que je ne fais pas partie des pigistes « réguliers »… C’est malheureusement le cas le plus fréquent. Les employeurs ont parfois une vision très étrange du droit du travail, voire n’imaginent même pas qu’il puisse s’appliquer aux pigistes ! D’autant que parfois, le licenciement est prononcé par un simple chef de service, sans en référer à son directeur de la rédaction, et encore moins à la DRH. Il ne faut pas se laisser intimider. Dans tous les cas, il faut contacter son délégué du personnel pour lui demander son avis, voire l’inspecteur du travail, et en dernier recours, les Prud’hommes.